Message personnel #1
Bonsoir, oui, il me semble que c’est le soir que nous prenons le temps de lire, un peu. Je m’appelle Clémence, j’ai vingt-huit ans et voici mon premier Message personnel. L’idée ? Un courriel composé d’un livre, un film et une chanson.
Ah oui, avant de poursuivre, ici la culture est je. Et pour la première lettre de la culture, nous allons parler d’amour(s). Plutôt, de confusion des sentiments. Parce que c’est un sujet qui me plaît assez (entre nous, beaucoup.)
Un livre. La vie amoureuse de Nathaniel P. d’Adelle Waldman. (2013)
L’autre jour, j’étais à la médiathèque où j’ai dernièrement pris l’habitude d’aller lire des David Foster Wallace. À côté de la tranche du Wallace : le prénom de « Nathaniel » a attiré mon œil. Allons savoir. Alors, je le prends. Il s’avère que l'on m’a déjà parlé de ce livre. Plusieurs fois. Et maintenant cela me revient : on me le déconseille. Toujours on me l’affirme : « ce livre va te déprimer » - c’est visiblement mal me connaître, il m’a enchantée.
Il est écrit par Adelle Waldman. Elle est américaine et a une quarantaine d’années. Son protagoniste Nathaniel a la trentaine, il est américain lui aussi. J’adore les américains en ce moment. Probablement parce qu’ils viennent du Kentucky, de l’Ohio et du Texas et que ça sonne un peu mieux que moi qui suis née à Limoges. J’aime bien leur côté ostensiblement « stylé » - ils sont immédiatement romanesques. Là où, nous Français, sommes d’abord dramatiques puis romanesques. Ce que j’ai tendance à apprécier, pour d’autres raisons. Pour en revenir à Adelle Waldman, elle a écrit ce premier roman suivi d’un autre uniquement disponible sur Kindle Amazon (sacrés Ricains) narré du point de vue d’un des personnages de ce même livre. L’idée me plaît assez : c’est qu’elle n’a donc pas su se débarrasser comme ça de ses propres créatures.
Alors qui est Nathaniel Piven ? Déjà il s’appelle Nathaniel – et ça, c’est du prénom, un mélange de Nathan et de miel. Il a trente ans, le charme de ces garçons très cultivés (qui ont des bouclettes) et surtout : il est écrivain (!). Enfin, pas vraiment, disons qu’il est critique, rédige un essai et a reçu une (grosse) avance pour son livre qui devrait être publié dans les prochains mois. Il vit à New-York et se pose beaucoup de questions sur la gente féminine. Depuis l’université il a compris qu’il était (très) séduisant et que pour lui l’amour arrive, repart, se joue, se gagne, se trouve. Mais… à qui a le choix est-il facile de décider ? Non. Alors, Nate a un peu peur de s’engager. Sans pour autant être contre, mais… c’est compliqué. Voilà, c’est ça, c’est que c’est compliqué. Il a déjà tenté l’expérience, elle n’a pas été franchement concluante. Et puis il a la sensation qu’autour de la trentaine les femmes veulent absolument se marier et avoir des enfants - et ne pensant qu’à cela, l’effraient.
(Ne criez pas femmes et hommes contemporains, s’il vous plaît – ceci une fiction qui nous pousse habilement dans les tréfonds de nos pensées les plus publiquement et romantiquement inavouables. Et puis ce n’est pas totalement… faux ? Enfin, je veux dire, nous existons aussi les femmes et les hommes qui autour de la trentaine (et même avant et paraît qu’aussi après) voulons nous « engager* » dans ce que nous appelons un « couple » et « évoluer » à deux dans ce monde complètement fou.)
*Engager : pire verbe du monde (exagération notable et par ce simple fait ; concédée) disons que tout de suite il donne l’impression de s’engager à l’armée. Sensation de signer de mon sang un pacte ; d’accepter au nom d’un instinct sexuel et d’une affection profonde de « partager » ma vie avec un autre. Peut-être faudra-t-il se lever aux aurores, se laisser crier voire cracher dessus (hmm contexte), insulter (toujours contexte) et faire des kilomètres à pieds sous la pluie sac au dos (très lourd). Enfin disons que le verbe « engager » n’est pas très « engageant. »
Reprenons.
Dans cette histoire, il se trame une grande question : qu’est-ce que le bonheur ? Et comment l’atteindre ? Véritablement, à deux ? Ou bien seul ?
D’ailleurs, être heureux, est-ce même une possibilité ?
C’est vrai, je pensais comme lui (Nathan le miel) ; qu’à l’université de lettres, domaine de prédilection, je serais la plus heureuse du monde (mais non) alors si en un tel endroit on ne sent pas au firmament de la joie, où ?! Probablement en les bras de… je ne nommerai pas l’heureuse élue. (Heureuse ?) (Est-elle vraiment l’élue de Nate ?) (Ah, il faut bien vous donner un peu envie de le découvrir, ce livre.)
Nate navigue entre moments charmants et léthargie – forme de neurasthénie physique qui l’empêche d’agir. Il ne sait plus tellement quand une fille le drague ou non, d’ailleurs veut-il draguer, lui ? Il est bon en séduction et il le sait, mais est-ce réellement une vie, ça, que de séduire sans cesse ? Puis c’est pas le tout mais c’est qu’on s’ennuie, souvent, alors quand on trouve quelqu’un avec qui on s’ennuie moins, voire même avec qui on s’amuse que faire ? C’est la grande question, il y a ceux qui foncent et ceux qui se mettent sur le côté parce que « tu comprends j’ai pas encore mis le doigt sur ce qui me fait mal, je vais en parler avec mon analyste – tu veux qu’on couche ensemble ce soir ? » (non là il ne s’agit pas d’une phrase du livre.)
Et voici pourquoi ce livre m’enchante ; il est bien de chez nous. Bien de notre génération effrayée par les sentiments. (Pas touuuuute la génération, ceci ne sont que des stats et puis le résultat d’une grande enquête menée par moi-même dans mon entourage âgé de 4 à 61 ans.)
Le livre se lit vite et un peu comme un Philip Roth, on le quitte avec une impression de « argh ça fait mal mais c’était bien - et comment ça c’est déjà fini, j’en veux encore oui j’aime bien souffrir Adelle Waldman, ressortez un bouquin, please.) Surtout, elle nous donne des éléments de réflexion. Car je le crains, ce livre plaît aux gens qui adorent se prendre la tête. Ce qui est mon cas. Bonne lecture !
Un film. Sailor et Lula de David Lynch (1990)
Palme d’Or du Festival de Cannes 1990.
Titre original : Wild at hearts (Cœurs sauvages) d’après un livre de Barry Gifford.
« J’aime tous les films de David Lynch, tous absolument tous car j’ai tout vu, tout tu m’entends, je suis un vrai cinéphilos, mais celui-ci je le déteste, c’est un nanar, c’est nul, il ne raconte rien, c’est convenu. » Que n’ai-je pas entendu à propos de SAILOOOOR et LUUUUULAAAA ces dernières semaines alors que je m’extasiais du visionnage récent de ce film.
Sailor et Lula sont jeunes, beaux et très amoureux. Or, la mère de Lula (qui ressemble un peu à Josiane Balasko mais en fait c’est Diane Ladd) est contre cette union. Pourquoi ? Tout un tas de raison qui n’ont rien à voir ni avec le cœur, et encore moins la raison. C’est qu’ici, nous baignons en plein dans un univers de vrais et méchants bandits.
Alors qu’il sort de prison (il passe un temps fou en taule), Sailoooor retrouve sa Luuuuula (ils crient souvent le prénom de l’un puis de l’autre), et c’est dans un cabriolet qu’ils parcourent les States. Lui c’est Nicolas Cage et elle c’est Laura Dern (mais siii l’avocate dont le monde entier est tombé amoureux dans « Marriage Story » de Noah Baumbach sur Netflix. Mais siii, avec Scarlett Johansson et Adam Driver qui divorcent.)
Sailor porte un blouson en peau de serpent et Lula des souliers rouges. Ils sont habillés en noir, ils font souvent l’amour, ils se chantent des chansons les yeux dans les yeux, ils hurlent, ils dansent, il leur arrive plein d’emmerdes et ils se protègent comme ils peuvent. Lula est une gamine qui échappe à sa mère et qui a vécu des horreurs. Horreurs qu’elle revit en songes – Lynch, Lynch, Lynch : le feu et le sang, l’abus et le rêve qui n’est pas toujours un allié. Elle est un personnage qui ne va pas bien. Toute pleine de traumatismes. Et qui aime très fort son « Sailooooooor. »
Leur fuite à deux vers un monde où ils pourront s’aimer tranquillement sera, évidemment, parsemée de méchants qui n’en veulent qu’à la tête de Sailor (et au corps de Lula). Ils sont canons tous les deux. Ils nous montrent, comme souvent, que le sentiment amoureux est très fort. Qu’il peut sauver. (Mais si, jt’assure.) Même s’il fait très peur, aussi (Prends ça, Nate.) C’est en cela que Lynch met ici en scène un conte. Un conte pour adultes. Mieux encore, pour adultes paumés.
Oh si je l’ai lancé c’est parce qu’un garçon que j’aime bien s’est un jour exclamé « comment ?! tu n’as jamais vu de film avec Cage ?! Mais c’est un gé-nie ! » Bon alors j’ai commencé à regarder des films avec Cage, puisque c’est un gé-nie, et j’suis tombée un peu amoureuse. De son regard triste et si, si tendre. De son corps qui explose. Et puis de ses mains, longues et fines. Il a une manière d’envelopper ses partenaires à l’écran qui me fascine. Un peu comme dans « Le dernier métro », de Truffaut. Voilà, il me fait penser au moment d’intense douceur à la fin du « dernier métro de Truffaut » (remarquez ; on ne dit jamais « Le dernier métro », mais « le-dernier-métro-de-Truffaut » sûrement parce que ça rime, en vérité je n’en sais rien, je lance l’hypothèse.)
Sailor et Lula sont attachants, ils sont chouettes et ils sont vivants. Ils vivent pour de vrai, avec de l’intensité et de l’amour, avec de la peur et du feu. Des gros plans sur des mains et des yeux qui pleurent, des regards qui supplient un peu la vie de les laisser s’aimer. C’est ça, le film de Lynch. De l’amour brut qui ne demande qu’à être tendre.
Une chanson. Message personnel, de Françoise Hardy (1973)
Pour la première lettre e-mail envoyée, il nous fallait rendre hommage à Françoise Hardy. Ce sont ses mots (enfin, ceux de Michel Berger, qui a écrit la chanson) qui en ont inspiré le titre.
« Mais si tu crois un jour que tu m'aimes
Ne crois pas que tes souvenirs me gênent
Et cours, cours jusqu'à perdre haleine
Viens me retrouver. »
Oui c’est larmoyant, c’est suppliant et l’individu contemporain nous expliquera que nous avons tort : ne jamais dire à quelqu’un de venir, encore moins de REvenir. Ce serait le pire moyen pour que jamais il ne (re)vienne. « Si ça doit se faire, ça se fera » ou encore « sois désirable. Montre-lui ce qu’il a perdu à tout JAMAIS. » Comme si la confluence des sentiments restait sans arrêt intacte et que son évolution n’existait pas. Surtout, comme si tout désir amoureux n’était que jeu et manipulation. Cette chanson, l’interprétation de Françoise Hardy (déchirant l’âme à en faire pâlir les Que je t’aime de Johnny) est, in fine, le dernier ressort de l’amour évident. De l’abandon de soi, chez l’autre. Autre que pour des raisons qui n’en sont pas (il n’est pas raisonnable d’aimer, voyons), nous aimons.
Et si… Il était digne de confier à un aimé que oui… on l’aime ?
Je ne peux pas vous dire que je t'aime peut-être.
La voix presque cassée d’une Hardy émue, mes yeux boursouflés, cœur et corps remués, du vous au tu, de vous à moi, cette chanson, je ne peux que vous dire que je l’aime.
Nathaniel, Sailor, Lula et Françoise ont cela en commun ; des désirs plus ou moins assouvis mais toujours assumés. C’est l’intensité que je recherche qu’ici j’ai trouvé. Parce que l’art c’est aussi ça, nous prêter des sentiments, nous donner l’espérance que ça existe un peu, les grands mouvements.
FIN.
Abonnez-vous afin de recevoir les prochaines lettres. Pour vous donner un petit aperçu de ce qui arrive : Sarajevo et Marilyn Monroe. Deux indices bien vendeurs (hmm…) qui ne peuvent que titiller votre envie de me lire à nouveau, n’est-ce pas ? (N’est-ce pas ???)
Merci beaucoup,
Amusez-vous bien !
Clémence
avril 2022
Votre amour pour les parenthèses est touchant (le charme de votre style)
Géniale Clémence ❤️